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Interview de Jean-Charles Gandrille : Le compositeur qui réinvente la musique classique contemporaine

Interview de Jean-Charles Gandrille : Le compositeur qui réinvente la musique classique contemporaine

Jean-Charles, votre projet « Gandrille Piano Trios » propose une redécouverte de la musique classique contemporaine par le prisme émotionnel et universel. Pouvez-vous partager l'expérience ou le moment qui a inspiré cette démarche ?

J'ai commencé à composer à l'âge de 10 ans et demi. D'autres ont commencé plus tôt. A cet âge là et par la suite, on écrit de la musique avec une candeur qui la rend accessible à tous. Je n'ai jamais cessé d'écrire. Mais après être passé par le conservatoire de Paris où j'avais étudié des œuvres complexes, mes compositions étaient devenues le reflet de ce que l'on nous montrait et étudiait en classe d'analyse musicale. Plus dissonantes, moins naturelles.
Après un certains nombre d'année, je me suis rendu compte que je voulais écrire une musique accessible auprès d'un large public. Composer pour soi n'a aucun sens. J'ai alors orienté mon travail pour retrouver le naturel de mes œuvres de jeunesse : Des émotions, simples et universelles, mais avec le savoir faire acquis notamment dans d'autres classes du conservatoire, comme l'harmonie et le contrepoint, savoir-faire plutôt propre à la musique classique. Le rapport que le public a à la musique de film, ne m'a pas laissé indifférent non plus dans cette démarche.

La musique classique peut parfois être perçue comme élitiste. Comment abordez-vous l'accessibilité de votre musique pour que chaque auditeur ressente l'émotion universelle que vous souhaitez transmettre ?

L'accessibilité doit passer par de grands interprètes comme David Galoustov et Grégoire Korniluk qui m'accompagnent sur le CD. De grands violonistes et violoncellistes. Les plus beaux instruments de la musique classique.
En effet, je remarque que les lignes mélodiques que je leur ai confiées, via leur jeu d'instrumentiste, notamment leur splendide vibrato, profondément humain, peuvent toucher une grande quantité de personnes. Les gens sont émus. Ma boulangère, la vendeuse de mon magasin de bureautique, mon voisin pompier...
Quant à mon écriture, J'essaye de la rendre simple mais pas simpliste. Le simplisme est une forme de pauvreté. Chercher un naturel et une évidence demande du temps, des années et du recul. Renoncer à des accords trop complexes, chercher une beauté dans les lignes mélodiques. Dans ce domaine justement, les compositeurs de musiques de film sont les héritiers des grands compositeurs du XIXème siècle. Je pars un peu de là.

Votre œuvre semble marquée par l'influence de la musique baroque et romantique. Comment ces styles se reflètent-ils dans vos compositions et particulièrement dans le projet « Gandrille Piano Trios » ?

Rien ne naît de rien. Pour se forger un artisanat de compositeur, il faut étudier les chefs-d’œuvre du passé. Même faire des pastiches en classe d'écriture au conservatoire a un certain intérêt pour comprendre de l'intérieur les choses.
Par rapport à la musique baroque, je dirais que ce qui se reflète dans le disque est le rapport à la danse. Aujourd'hui la musique classique l'a un peu perdu. Bon nombre d'oeuvres de Jean-Sébastien Bach sont des danses, et une oeuvre que beaucoup de gens adorent, trois cent ans après son écriture, est les Quatre Saisons de Antonio Vivaldi : une oeuvre au combien dansante et dynamique. Je pars de là en expliquant que cet aspect dansant est positif et a toujours suivi l'humanité depuis la nuit des temps, jusqu'à aujourd'hui la musique pop !
Pour la musique romantique, c'est vraiment l'inspiration mélodique que je retiens, et la passion. Je ne me lasse pas de me nourrir régulièrement de Beauté en jouant au piano les Nocturnes de Chopin, d'un haut degré d'inspiration et de maitrise technique.

Vous parlez souvent de la « narration musicale » et de l'authenticité dans vos œuvres. Comment ces concepts se manifestent-ils dans vos trios pour piano, et quel impact espérez-vous qu'ils aient sur l'auditeur ?

Effectivement, la musique doit raconter une histoire. C'est ce que je tente de faire. Par des modulations, des péripéties, des oppositions et contrastes, jusqu'à une certaine forme de dramaturgie. Cela passe aussi par des procédés de ralenti, d'accélération, de silence, d'attente sur un accord...
Tout cela a pour but d'émouvoir les auditeurs, par notamment des émotions très fortes. On est donc très de certaines musiques classiques statiques, soporifiques, ou anesthésiantes, que l'on passerait dans un ascenseur !
En fait quand on me dit que ce que j'écris fait penser à de la musique de film, je suis très honoré. Mais je dis que en fait c'est l'inverse : Chopin, Schubert, Beethoven racontaient déjà des histoires par leur musique, avant que le cinéma ne soit inventé. C'est donc le cinéma et sa musique qui font "musique classique", et non pas l'inverse !

En tant que compositeur ayant créé un parcours atypique et rejetant certains codes académiques, comment percevez-vous la liberté dans la création musicale aujourd'hui ?

Pendant longtemps la musique classique de création contemporaine officielle était avant-gardiste : complexe, hermétique, souvent laide et agressive. Peut-être que cette musique existera encore longtemps, autour d'un cercle restreint de spécialistes et de compositeurs. Mais depuis un certains nombre d'années beaucoup de compositeurs ont mis en œuvre un retour à la beauté, qui génère un public de plus en plus large. Le pionnier a été l'américain Philip Glass, malgré une musique qui use presque trop du copier-coller de répétition un peu redondant. Il y a eu aussi l'estonien Arvo Pärt. En France, Thierry Escaich a aussi marqué ce renouveau.

En quoi le fait d'avoir remporté le Grand Prix International de Composition de Musique Sacrée et d'avoir eu votre Stabat Mater interprété à Notre-Dame de Paris a-t-il influencé votre carrière et votre approche artistique ?

Ces merveilleux moments m'ont renforcé dans la conviction que l'on peut encore écrire de la musique sacrée de nos jours, que cela a un sens.
Les plus grands chefs-d’œuvre de la musique classique sont de la musique sacrée. La question de Dieu inspire. A partir du moment où l'on s'émerveille de la complexité du corps humain, la beauté de la nature, le ciel étoilé, et que l'on passe de l'ignorance à la foi en un Dieu créateur qui nous aime, cela engendre de l'inspiration.
J'aimerais donc continuer dans cette voie parmi d'autres. Écrire un jour une Passion, et des œuvres sur l'Amour inconditionnel que nous propose le Christ dans les Évangiles.

À l'avenir, vous avez des projets aussi divers qu'un concerto pour violoncelle et un premier opéra prévu pour 2027. Comment ces projets s'inscrivent-ils dans votre vision de la redécouverte et de l'évolution de la musique classique contemporaine ?

Le violoncelle est certainement l'instrument qui nous bouleverse le plus en musique. Proche de la voix humaine.
On sait combien le jeu d'un Gautier Capuçon touche un large public. Tout l'enjeu est de faire découvrir cette Beauté de la musique classique, au public qui ne va pas vers elle, par ignorance de son existence, et parce que les médias en général ne la propose pas. Il faut des vulgarisateurs qui incitent à la curiosité. On sait que l'utilisation de l'orchestre symphonique dans le cinéma peut amener le public à venir écouter un concert d'orchestre.
En conclusion je dirais que j'essayerai de continuer à tendre vers des émotions accessibles à tous. Chercher à toucher, émouvoir. Comme notre émerveillement devant une toile parmi les chefs-d’œuvre de Van Gogh.

Pour en savoir plus : https://jeancharlesgandrille.com/

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